La vi(ll)e sans voiture est-elle possible ? – Part. 3/4


Épisode n°2 : L’électrification massive (ou la théorie du mieux)
Il y a deux avantages à utiliser un véhicule électrique à Oslo. D’une part, pas besoin de couper la climatisation pour économiser de l’énergie ! Parce qu’en ce mois de Janvier, lorsque nous avons rencontré Sture Portvik, le monsieur “électrique” de la municipalité, le thermomètre frôlait les 0°C ! D’autre part, pas besoin non plus de payer le parking. Et cela, nous avons pu le vérifier en arrivant au “Fortress Charging Garage”, notre lieu de rendez-vous. Mais redevenons sérieux. Il y a de nombreux autres avantages à “rouler électrique” dans la capitale norvégienne, et dans tout le pays en réalité. Et c’est en quelque sorte le second étage de la fusée de la politique de mobilité : les villes tentent de limiter le nombre de voitures en circulation, comme nous avons pu le voir dans l’épisode n°1, puis, en coordination avec l’État, elles tentent d’électrifier l’ensemble des véhicules, particuliers et collectifs. Une transition énergétique, écologique mais surtout holistique.
La transition par les incitatifs
C’est désormais connu, le gouvernement norvégien promeut depuis plusieurs années l’électrification des véhicules personnels. Ce qui est moins connu c’est l’échéance qu’il s’est fixé. Il souhaite qu’en 2025, plus aucun véhicule thermique ne soit vendu sur le territoire. Pour ce faire, la puissance publique utilise majoritairement le levier fiscal : les véhicules thermiques sont lourdement imposés à l’importation par la taxe CO2 mais les modèles électriques sont exemptés de cet impôt, ainsi que de la TVA (à 25 %). Résultat : une VW e-Golf (nous confirmons que sur le terrain, c’est un des best-seller) revient moins cher à l’achat qu’une Golf thermique. Une Tesla coûte moins cher qu’un modèle équivalent chez Audi. Et cette politique nationale, portée par le Gouvernement, est poursuivie au niveau régional, puis local. Ainsi, des rabais sont accordés sur les péages autoroutiers et les trajets en ferry + auto. En ville, notamment à Oslo, l’accès aux parkings et la recharge des véhicules sont gratuits. Le péage urbain est très peu onéreux, comparé aux véhicules thermiques. Et dans certains secteurs, la municipalité avait même testé l’ouverture des voies de bus aux VE (avant d’arrêter cette expérimentation). Bref, c’est un package complet qui incite grandement à délaisser son véhicule thermique. Les chiffres de vente s’en ressentent et sur le terrain, il n’y a qu’à ouvrir les yeux pour observer qu’effectivement, le nombre de véhicules thermiques en circulation est relativement faible, d’autant plus en ville.
Construit sous l’Akershus Fortress, dans un ancien abri anti-aérien et près du quartier d’Aker Brygge, ce parking est le premier du genre. Il est entièrement dédié aux véhicules électriques. Accessible gratuitement, la recharge de votre véhicule y est gratuite également.
La transition multimodale
Je ne m’étendrai pas beaucoup plus sur la politique concernant l’automobile… elle est connue, voire archi-connue. J’aimerais surtout aborder l’électrification des autres modes de déplacement, notamment les transports collectifs. En effet, l’autorité organisatrice de transports (#Ruter), au-delà de gérer et développer une offre très performante (nous en parlerons dans l’épisode n°3), s’engage elle aussi dans l’électrification de l’ensemble de son parc. Son objectif ? Qu’en 2028, tous les autobus du réseau soient électriques. C’est un défi de taille lorsque l’on sait que le réseau est composé de 1 200 véhicules. Mais ça a l’air plutôt bien parti puisque d’ores et déjà, 200 véhicules ont réalisé la bascule. Et cela ça ne s’arrête pas aux seuls bus urbains, puisque Endre Angelvik (Vice President mobility services chez Ruter) nous a indiqué que l’électrification concernait aussi les autocars interurbains. Et c’est un challenge technique puisque ces véhicules réalisent des moyennes et longues distances. Enfin, c’est aussi le parc de ferries, intégré au système de transports urbains, qui est concerné. Et point de dérogation pour ces derniers : tous les ferries devront aussi être électriques avant 2028. Au final, le basculement du parc automobile est lié à une politique incitative et fiscale, mais celui du réseau de transports publics l’est davantage à une politique publique d’innovation, majoritairement technique. En effet, au-delà de l’évolution des véhicules, c’est aussi un ensemble de nouvelles infrastructures qu’il faut inventer, notamment pour la recharge, l’entretien et la maintenance de ces derniers. Des infrastructures pas toujours faciles à installer lorsque l’espace urbain vient à manquer…
Sans délaisser la logistique
C’est une vision globale de l’électrification que souhaite porter le Gouvernement, et les municipalités. Et cette vision ne serait pas complète sans intégrer la question des marchandises (qui représentent 50 % des émissions de CO2). À Oslo, c’est une excellente chose d’avoir supprimé les voitures (privées) en centre-ville, mais il reste évidemment l’épineuse question des livraisons… Et apercevoir ou entendre des camions diesel se garer partout sur la voirie, c’est plutôt néfaste pour l’image (et pour le message politique). C’est donc un autre chantier, colossal, que la puissance publique tente d’intégrer dans sa volonté de transition. Cela passe par des incitations pour pousser au verdissement du parc de véhicules de 3,5 t (ils les appellent les “vans”) mais aussi de camions plus volumineux (jusqu’à 28 t, les “trucks”). Cela passe aussi par des expérimentations permettant de favoriser l’utilisation de très petits véhicules, “0 émissions”, comme les vélos cargos. Comment ? en diminuant les volumes à déplacer, par la multiplication du nombre de véhicules et l’installation de hubs de redistribution aux portes des villes. C’est l’exemple que nous avons pu observer à Filipstad, avec la DB et DHL.
Vélo cargo simple ou à double wagon, mini-voiture, vans, etc., tous ces véhicules sont électriques et permettent la distribution de colis et courriers dans le centre-ville d’Oslo, le tout à émission zéro.
Un modèle si vertueux ?
Cette politique d’électrification est remarquable. D’autant plus que lorsque l’on sait que la quasi-totalité de l’électricité du pays (entre 96 et 99 %) provient de ses centrales hydrauliques… une énergie verte ! Alors, la Norvège ferait-elle un sans-faute ? Les Norvégiens ont-ils inventé un modèle que l’on pourrait copier partout ailleurs en Europe ? Possible, mais rappelons tout de même que l’exemplarité norvégienne cache quelques angles morts. Le premier concerne les batteries. Promouvoir l’achat de véhicules électriques équivaut à générer pour les années à venir un problème de stockage et/ou de recyclable de ces dernières. Selon Sture Portvik, le Gouvernement travaille déjà sur le sujet, en imaginant une seconde vie pour celles-ci. Promouvoir l’achat de véhicules électriques, c’est aussi passer à côté d’une certaine partie de la population, qui n’a pas les moyens de changer de véhicule, et qui par conséquent, continuera à rouler avec des véhicules thermiques, les plus taxés par les autorités : la double peine. Promouvoir l’achat de véhicules électriques, c’est enfin pour l’instant favoriser les habitants de maisons individuelles, car les systèmes de recharge sont encore peu optimisés pour les logements collectifs, notamment les plus anciens d’entre eux. Ce sont donc des défis sociétaux que vont devoir traiter Oslo, et la Norvège tout entière.
Julien de Labaca
Crédits photos / vidéos : Julien de Labaca, le “Facilitateur de Mobilité”
Découvrez l’épisode 3 de notre exploration des nouvelles mobilités à Oslo : Coming soon !