Mobilletic : les big data au service des transports en commun

De 2013 à 2016, le projet de recherche Mobilletic a passé au crible les données de billettique du pass Korrigo à Rennes. Une expérience qui a mis en évidence le rôle des big data dans l’étude des déplacements et l’optimisation de l’offre de transports. Entretien avec Latifa Oukhellou, coordinatrice du projet et directrice de recherche à l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR).
Racontez-nous la genèse du projet Mobilletic…
Le questionnement à l’origine de Mobilletic était le suivant : dans quelle mesure les traces numériques collectées par les systèmes de billettique, traditionnellement utilisées pour la tarification et la lutte contre la fraude, peuvent servir à autre chose, et notamment à analyser les déplacements des usagers ?
Menée en partenariat avec l’Ecole des Ponts Paris Tech, le CEREMA, l’opérateur de transport Keolis et Rennes Métropole, notre étude a mobilisé une équipe pluridisciplinaire – des spécialistes des données, de l’aménagement, de la géographie, etc. – pour explorer trois sujets :
– quelles sont les routines de déplacement, les groupes homogènes d’usagers ?
– quelles sont les pratiques d’intermodalité bus-métro à l’échelle de la métropole rennaise?
– quel est l’impact des projets ou politiques publiques de transport, à partir de l’exemple du décalage des horaires de l’université Rennes 2?
Sur les habitudes de déplacement, qu’avez-vous découvert ?
Outre les voyageurs routiniers, qui prennent surtout les transports tôt le matin et l’après-midi, une grande partie des usagers (60 %) ont des usages de déplacement plus diffus, comme les retraités en milieu de matinée ou les jeunes en soirée. La fouille des données permet de sortir d’une vision de « l’usager moyen » pour développer une vision dynamique, dans le temps et l’espace, de l’activité des usagers. Cette description en continu peut aider les gestionnaires urbains ou les opérateurs à mieux planifier les transports.
Votre étude confirme aussi le bien-fondé de certaines politiques publiques…
En effet, pour faire face à la congestion croissante de la ligne de métro (200 % de taux de remplissage à certaines stations), la Ville de Rennes et Keolis ont engagé en 2012 une expérience consistant à étaler les horaires de début des cours de l’université Rennes 2, en les décalant de 15 minutes pour la moitié des étudiants. Notre étude a montré que, sans résoudre la congestion globale des transports, ce décalage a permis de mieux répartir la demande de transport, de réduire la charge des véhicules et de renforcer la qualité de service.
Les big data issues de la billettique permettent également d’améliorer les connaissances sur l’intermodalité
Les données billettiques du réseau bus-métro de Rennes Métropole permettent effectivement d’approfondir les connaissances sur l’intermodalité quotidienne. On peut analyser finement les pôles d’échanges et observer précisément le cheminement de l’usager lors de ses correspondances. Une connaissance utile pour organiser la connexion des modes de transport.
Quel est selon vous l’apport de l’analyse des données de billettique par rapport aux enquêtes de déplacement classiques ?
Les enquêtes de mobilité classiques sont riches : elles couvrent tous les transports, renseignent les motifs de déplacement et contiennent des informations socio-professionnelles, contrairement aux données billettiques qui sont anonymisées pour respecter la vie privée des usagers. En revanche, ces enquêtes sont coûteuses, espacées dans le temps et ne permettent pas un suivi rapproché des évolutions de la mobilité. Avec les données billettiques, on bénéficie d’une grande finesse d’observation des mobilités dans le temps et l’espace, et l’on peut mesurer l’impact des mesures relatives aux transports (tarification, desserte, etc.) sur les comportements de mobilité. Ces deux types d’analyse sont donc complémentaires.
Quelles sont les perspectives ouvertes par l’analyse des données de billettique ?
Elles sont nombreuses, notamment en cas de croisement avec d’autres informations (données d’enquête, de téléphonie mobile, etc.). Aujourd’hui, une station de métro affiche simplement quand arrivera le prochain train mais demain, il sera aussi possible d’avoir des indicateurs de confort, de remplissage des rames, etc. L’analyse de ces données permettra également aux opérateurs de proposer une exploitation agile, en ajoutant des trains ou en changeant la taille des bus en fonction de la demande en temps réel.
L’intérêt des données de billettique est ainsi triple : elles permettent aux usagers de mieux planifier leurs déplacements et d’avoir une meilleure qualité de service, aux opérateurs de transport de mieux comprendre les flux de voyageurs pour anticiper les besoins et prévoir la demande et aux autorités organisatrices d’optimiser l’offre de transport et d’adapter le niveau de service.
Docteur de l’Université Paris-Sud Orsay (1997), Latifa Oukhellou est directrice de recherche à l’Ifsttar depuis 2011 au sein du pôle « Data et Mobilités » du GRETTIA. Elle était auparavant maître de conférence à l’Université Paris-Est Créteil entre 1998 et 2011. Ses activités de recherche concernent l’apprentissage statistique pour des problèmes de diagnostic et pour l’analyse des données de mobilité. Elle anime un groupe de travail au sein de l’Ifsttar sur le traitement de données pour la mobilité. Elle est également coordinatrice du projet ANR DIADEM (ANR-13-TDMO-04, http://diadem.ifsttar.fr) et du projet PREDIT MOBILLETIC (http://mobilletic.ifsttar.fr/).
Crédits photo: D.Gouray
Publié le 24 mai 2017
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